En ce moment, en Haïti, une personne sur deux souffre de la faim, mais grâce à des personnes comme Hugo Marchand, le Programme Alimentaire Mondial réussit à en aider une partie. Preuve vivante que les parcours linéaires ne sont pas toujours les seules options, découvrez le métier d’humanitaire et d’expatrié à l’international.
S.D. : Je sais que ton parcours personnel et professionnel a été plutôt tumultueux. Quels sont les défis que tu as rencontrés ?
H.M. : Ha ! Ha! Ha ! Effectivement, j’ai un parcours atypique. Je suis entré à l’université un peu mal outillé et mal préparé sans avoir fait le Cégep, chose que vous pourrez éviter, je l’espère. J’ai travaillé comme barman pendant plusieurs années, dans des compagnies de design un peu excentriques où j’ai produit des machines et des événements hors de l’ordinaire comme cet événement en réalité augmentée où les gens portaient des perruques immenses cachant des casques virtuels qui réagissent avec les motifs du décor pour créer des effets en 3D.
J’ai travaillé comme coordonnateur d’événements dans un musée d’architecture, j’ai même fait une pièce exposée au Musée des Beaux-arts pour le Bal du Musée. J’ai effectivement pris le chemin le plus long avant de me rendre à travailler avec le bureau haïtien du Programme Alimentaire Mondial. Mes défis ont surtout été au plan du choix d’une carrière qui me ressemble. Je ne me suis jamais vu travailler comme électricien, comptable ou agent d’immeuble. Je n’avais pas envie de compromis et de me ranger à faire un emploi classique. En ce sens, mon plus grand défi a été de voir où je pouvais m’investir en respect de mes principes et de mon parcours un peu étrange. Je me questionne encore à savoir si c’est un bon choix, car c’est assez difficile et déchirant comme travail, mais comme mon organisation a permis d’aider 1,8 million de personnes parmi les plus vulnérables d’Haïti l’année dernière, je sais que, peu importe mon opinion, c’est un travail nécessaire.
S.D. : Quelle profession voulais-tu faire plus jeune ?
H.M. : J’aurais vraiment aimé devenir professeur de sciences politiques ou de sociologie à l’université. Avant ça, j’avais envie d’être prof au primaire comme mon oncle que j’admirais beaucoup.
S.D : Peux-tu m’expliquer en quoi consiste ton travail ?
H.M. : Je travaille pour le Programme Alimentaire Mondial (PAM), la plus grande organisation d’aide humanitaire du monde. Le PAM a pour mission d’aider les personnes les plus vulnérables sur le plan des ressources alimentaires. L’année dernière, le PAM a aidé 125 millions de personnes dans 120 pays. On distribue de l’assistance alimentaire sous de nombreuses formes : en vivres, en argent, dans des cantines scolaires, mais aussi en construisant des « actifs » agricoles (drains, canaux d’irrigation, murs, étangs à poissons, etc.), ou même en créant des filets sociaux permettant de verser de l’aide un peu comme l’aide sociale au Canada. En plus, à travers tous ces projets, on fait la promotion de l’égalité des genres, de l’aide aux femmes enceintes, allaitantes ou ayant des enfants en bas âge. Or, toutes ces actions, il faut les financer avec de l’argent des donateurs. Il faut justifier nos actes et leur montrer ce qu’on fait avec l’argent donné ; montrer aux autorités du pays qu’on atteint nos objectifs. En fait, on doit rendre des comptes à toutes les parties prenantes pour montrer qu’on fait ce qu’on doit faire, évaluer ce qu’on peut faire mieux, etc. C’est un processus continu d’évaluation. Pour faire ça, ça prend des chiffres pour quantifier nos actions. Mon travail est de faire en sorte que ces chiffres soient collectés, analysés et traduits d’une manière lisible pour tous les intervenants.
Ma position est double, je suis gestionnaire d’information et analyste de données. La portion gestionnaire d’information consiste surtout à rendre lisibles et intelligibles les données qui sont collectées à toutes les étapes alors que de l’autre côté, je dois assurer la mise en place et le maintien du système de données. En cela, c’est en quelque sorte deux volets de création, l’un plus artistique, l’autre plus près de l’architecture.
S.D. : Pourquoi as-tu choisi de faire ce métier ?
H.M. : J’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un qui travaillait au PAM et ça m’a permis de découvrir cette organisation dont je n’avais jamais entendu parler. L’idée de travailler dans l’humanitaire de grande échelle, dans une organisation qui change littéralement le monde m’a séduit et je me suis lancé tête baissée dans l’aventure.
S.D. : Quelles études as-tu faites pour pratiquer cette profession?
H.M. : J’ai fait une maîtrise en communication organisationnelle centrée directement sur la coordination entre grandes agences onusiennes. C’est pas mal ce que je fais maintenant. Mais je pense que tout mon parcours bizarre m’aide chaque jour. J’ai l’habitude des longues heures de travail, j’ai travaillé avec de grosses équipes, des gens pas toujours faciles, sous pression, à des heures qui ne font pas de sens. Je pense que je sais mieux penser en dehors de la boîte et avoir des idées nouvelles grâce à mon parcours également. Donc, je pense que l’étude est un bon complément de mon expérience professionnelle plutôt que l’inverse dans mon cas.
S.D. : Comment fais-tu pour manœuvrer entre travail et famille? Est-ce difficile ?
H.M. : C’est pas facile du tout dans ce travail. On sacrifie énormément pour faire un boulot à l’étranger dans des pays difficiles, en situation d’urgence. On ne dort pas beaucoup et c’est pas facile d’avoir avec moi un garçon de 3 ans. Même si j’ai une compagne, elle vit dans le pays voisin et je ne peux pas la voir aussi souvent que j’espérais. C’est encore plus difficile de voir mes beaux-enfants qui doivent eux aussi être forts pour vivre loin de leur mère une grande partie de l’année.
S.D. : Quelle partie de ton travail préfères-tu ?
H.M. : C’est surprenant et créatif de gérer les données. Il faut en quelque sorte créer des histoires avec les données pour amener progressivement les gens à voir ce qui est pertinent dans les chiffres. Il faut comparer, donner des ordres de grandeur, des données démographiques, etc. Par exemple, lorsque j’ai indiqué que 1,8 million de personnes ont été aidées, il faut savoir que c’est 1,8 d’un pays d’environ 11 millions d’habitants. Plus encore, on peut indiquer que 4,3 millions sont en besoin d’assistance directe dont 19200 personnes sont en situation de catastrophe alimentaire dans Cité-Soleil et que 18 % de la population totale, soit 1,8 million, est en situation d’urgence alimentaire. Suite à quoi on joint une carte de répartition des personnes en situation d’urgence et de catastrophe qu’on superpose avec la carte de couverture du territoire. Soudainement, le 1,8 million devient plus clair, on comprend mieux quelles personnes ont été aidées parmi la population haïtienne ou quelle part de la population cela représente. J’aime beaucoup avoir accès aux données de distribution. Ça permet de justifier le travail humanitaire et de défendre les actions accomplies avec des données solides que je cumule moi-même dans un système que j’ai conçu et en lequel j’ai confiance.
Pour finir, question de valoriser l’effort fait par nos compatriotes et notre gouvernement, voici une petite carte qui montre où les différents donateurs financent les cantines scolaires en Haïti. On peut être fiers que notre gouvernement finance la majorité de ce programme qui a alimenté jusqu’à 350 000 élèves du primaire par mois durant l’année scolaire 2021-2022.
Mon nom est Saraï et je suis en secondaire 2. J’aime lire, écrire et faire du sport. Je lis beaucoup et sur de nombreux sujets. Je suis plutôt curieuse et j’aime apprendre sur de nouvelles choses. J’espère que l’Exemplaire vous permettra de rester à la fine pointe de l’actualité.