Le 3 octobre 2022 ont eu lieu les élections provinciales du Québec, pour lesquelles la Coalition Avenir Québec (CAQ) a obtenu un second mandat fort avec 90 sièges à l’Assemblée nationale. Cette victoire significative et écrasante a soulevé à nouveau un enjeu crucial pour la représentation des partis : le mode de scrutin uninominal à un tour est-il démocratique ?
Retour sur les élections provinciales du 3 octobre

Sans grande surprise, la CAQ est de retour au pouvoir avec une majorité forte grâce aux 90 sièges que le parti a obtenus à l’Assemblée nationale. Cependant, sa victoire n’en demeure pas moins historique au Québec. En effet, c’est la première fois qu’un chef de gouvernement obtient deux mandats majoritaires depuis 1989, où Robert Bourassa, alors chef du Parti libéral du Québec (PLQ), a gagné 92 sièges sur 125 à son troisième et dernier mandat. Même si sa campagne électorale n’a pas été la meilleure, en partie à cause de ses propos controversés sur l’immigration, la CAQ a obtenu 16 sièges de plus qu’en 2018, avec 41% des votes, soit 4,42% de plus qu’il y a quatre ans.
Le PLQ, lui, a certainement connu des moments plus glorieux. Son pourcentage de vote n’ayant jamais été en deçà de 25%, il est descendu à 14% lors de ces élections. Ce piètre résultat a tout de même permis au parti d’obtenir 21 sièges à l’Assemblée nationale, soit dix de moins qu’à la dernière législature et de devenir l’opposition officielle. D’ailleurs, cet échec a motivé la démission de madame Anglade de son poste de cheffe de parti et de député de Saint-Henri-Sainte-Anne. Elle quittera ses fonctions le 1er décembre et d’ici la prochaine course à la direction du parti, Marc Tanguay en sera le chef par intérim. Par conséquent, le PLQ passe de 21 à 19 députés, car il faut ajouter que Marie-Claude Nichols a également quitté le parti après avoir été exclue du caucus.
Le parti dirigé par Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé, Québec solidaire (QS), a atteint ce qu’on pourrait qualifier d’un plateau : il a obtenu 11 sièges, soit un de plus qu’en 2018, et a obtenu 15,4 % des votes, une baisse de 0,7% par rapport aux dernières élections. Bref, rien de très significatif, bien qu’il ait dépassé le Parti québécois (PQ).
Ce dernier a connu sa pire campagne depuis 2018, tout comme le PLQ. En effet, le parti de Paul St-Pierre Plamondon a perdu 7 sièges et 3% des votes pour se retrouver avec 3 députés à l’Assemblée nationale et 14,6% des votes.
Pour finir, le Parti conservateur du Québec (PCQ), jeune parti (fondé en 2009), n’a aucun représentant à l’Assemblée nationale, ce qui ne change rien par rapport à la dernière législature puisqu’il “n’existait pas”. Par contre, le parti d’Éric Duhaime a récolté 13% des voix.
Peut-être avez-vous remarqué certaines disproportions entre le nombre de sièges qu’ont gagnés les différents partis et le pourcentage de votes qu’ils ont reçus à leur avantage. Cela s’explique, en partie, par le système électoral du Québec : le mode de scrutin uninominal à un tour.
Le mode de scrutin uninominal à un tour
Ce système électoral, qui est le nôtre, est bien simple. En fait, chaque électeur doit voter pour un des candidats de sa circonscription électorale. Il y a 125 circonscriptions au Québec, donc 125 sièges à combler à l’Assemblée nationale. Bref, l’électeur vote pour le candidat qui, selon lui, est le mieux placé pour représenter sa circonscription à l’Assemblée et celui qui en obtient le plus devient le député de ladite circonscription. Chaque député élu est affilié à un parti politique, donc le parti qui détient le plus de députés sur les 125 possibles gagne les élections et son chef devient premier ministre du Québec.
Pourquoi une telle distorsion dans les résultats, d’abord ? Parce que la victoire ne se joue pas sur le nombre de votes, mais sur le nombre de sièges que peut obtenir un parti. Prenons l’exemple du PCQ. À l’échelle provinciale, le parti d’Éric Duhaime a récolté 530 786 votes, selon Élections Québec, soit 13% des suffrages. Cependant, puisque les candidats représentant ce parti sont arrivés deuxièmes dans la majorité des circonscriptions où ils menaient une bonne campagne, aucun d’entre eux n’a été élu, pas même M. Duhaime, qui est le seul chef à avoir perdu sa circonscription. À l’inverse, l’équipe de François Legault a utilisé ce système électoral en sa faveur. Il serait facile de croire que M. Legault a abandonné son projet de réforme du mode de scrutin, promesse qu’il avait énoncée en 2018, après avoir compris que celui-ci pourrait l’avantager aux élections suivantes.
Le mode de scrutin mixte avec compensation régionale
Ce mode de scrutin a été proposé par la CAQ dans les premières années de son mandat. Quoique plus représentatif du vote populaire, il est plus complexe. Il y aurait toujours 125 sièges au Salon bleu, mais pas 125 circonscriptions. En fait, selon ce modèle, il y en aurait 80. L’élection des députés de ces circonscriptions se ferait comme c’est le cas actuellement, donc aucun changement ici. Qu’arriverait-il alors avec les 45 sièges qui restent ? Ceux-ci se transformeraient en sièges de compensation. On formerait 45 régions, une région pouvant regrouper plusieurs circonscriptions, où les candidats des différents partis se présenteraient pour obtenir un desdits sièges. Ces derniers seraient attribués en fonction du nombre de votes qu’un parti aurait obtenu dans une région. Par conséquent, ce n’est pas nécessairement le parti qui remporte le plus de circonscriptions qui remportera le plus de régions. D’ailleurs, un candidat qui se présente dans une circonscription ne pourra pas se présenter comme candidat pour devenir député de région. Par contre, pour qu’un parti ait la chance d’obtenir un siège de compensation, il faut que celui-ci ait obtenu au moins 10 % du vote populaire.
Selon un reportage publié par Radio-Canada le 4 octobre 2022, les résultats auraient été bien différents si le parti de François Legault avait mené à bout le projet de loi 39, Loi établissant un nouveau mode de scrutin. En effet, la CAQ aurait quand même gardé sa majorité à l’Assemblée nationale, mais avec 75 sièges au lieu de 90. Le parti de Dominique Anglade aurait conservé son titre de première opposition, mais son résultat serait encore pire qu’il a été aux précédentes élections avec 5 députés de moins que les 21 qu’il possédait initialement. Québec solidaire, lui, aurait obtenu 14 députés au lieu de 11 et le PQ aurait 10 représentants au Salon bleu, soit 7 de plus qu’actuellement, ce qui aurait réduit le déclin du parti. Le PCQ aurait été le plus avantagé par ce mode de scrutin, faisant « une entrée sans équivoque à l’Assemblée nationale avec 10 élus » si l’on cite Daniel Blanchette Pelletier, auteur du reportage.
Il est à noter que selon cette simulation, les électeurs auraient voté pour le même parti pour l’élection d’un député de circonscription et d’un député de région. Dans un lieu de scrutin, un électeur aurait la possibilité de voter pour un candidat du parti A comme député de circonscription, mais de voter pour un député de région du parti B, par exemple.
Quel mode de scrutin est le meilleur ?
C’est une bonne question. Le mode de scrutin uninominal à un tour est plus simple que le mode de scrutin mixte avec compensation régionale. Cependant, il n’est pas assez représentatif du vote de la population, ce qui fait qu’un parti rejeté par 60% de la population se retrouve avec la majorité des sièges à l’Assemblée nationale. Avec le mode de scrutin proposé par le PL 39, les résultats seraient plus proportionnels au vote populaire, mais une certaine distorsion resterait présente. Les grands partis seraient toujours surreprésentés, par exemple. Cependant, est-il vraiment utile que toutes les opinions politiques soient minimalement représentées au Salon bleu ? Au long terme, avoir plusieurs partis à l’Assemblée nationale pourrait mener à une phase d’instabilité politique comme celle qu’a connue le Québec entre 1854 et 1864, où 10 gouvernements minoritaires se sont succédés parce qu’ils n’arrivaient pas à faire voter leurs projets de loi par la majorité des députés. La réforme du mode de scrutin est donc loin d’être une mauvaise idée, mais il va falloir y apporter quelques changements afin qu’il y ait un parfait équilibre entre l’opinion publique et la stabilité politique.
Donc, est-ce qu’on continue ?
Bref, les Québécois sont-ils prêts à une réforme du système électoral dans la province ? En veulent-ils une ? Selon monsieur Legault, la réponse est non puisque « ça n’intéresse pas la population, à part quelques intellectuels. » À ses dires, le peuple québécois préfèrerait rester dans le confort de l’habitude, sachant que c’est au dépit d’autres citoyens dont les voix ne sont pas entendues. Cependant, les citoyens ont été sondés après les élections et 53% veulent changer le système. La majorité des électeurs, dont des électeurs caquistes, demandent que le gouvernement trouve une solution à ce problème démocratique. Le peuple est-il d’accord avec la CAQ lorsqu’elle dit : « Continuons » ? Non. Inutile d’attendre une prochaine élection aux résultats déséquilibrés pour mettre en place un système plus juste. Les Québécois l’ont bien compris : le changement, on le veut maintenant. Ça ne prend pas la tête à Papineau pour s’en rendre compte.
Salut !
J’espère vraiment que L’Exemplaire vous aidera à rester informé de ce qui se passe autour de vous parce que la planète tourne plus vite qu’on pense !
Alexandra 🙂
Je ne pense pas que le parti Québécois a connu une de ses pires campagnes. Plutôt, dans les intentions de vote, le pourcentage a augmenté tout le long de la campagne. (Le parti était déjà en déclin avant la campagne mais a connu un petit regain d’énergie) Et certains articles affirment même que si la campagne aurait duré plus longtemps, ils auraient obtenus encore plus de votes.
très clair, tu expliques beaucoup mieux que le prof d’histoire