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Entrevue avec Madeleine Habib: une capitaine qui fait des vagues

À 56 ans, on peut dire qu’elle a le pied marin et le vent dans les voiles.  Madeleine Habib a sillonné les sept mers et défendu mille et une causes. Depuis trente ans à bord d’un bateau de sauvetage ou de ravitaillement, elle secourt des migrants en Méditerranée, empêche des essais nucléaires en Nouvelle-Zélande ou conduit des médecins dans des villages isolés en Papouasie Nouvelle-Guinée. Découvrez Madeleine Habib et son métier.

S.D. : Avez-vous toujours voulu être capitaine de navires ?

M.H. :  J’ai vécu en Écosse jusqu’à l’âge de 10 ans, puis ma famille a déménagé en Australie. Je vivais près de la plage, et j’aimais nager, surfer et plonger, mais je n’avais jamais imaginé que je serais marin. J’ai fait des études de journalisme, mais je suis allée faire de la voile avec mon beau-père quand j’avais 22 ans et cette semaine a changé ma vie. J’ai tout de suite été accrochée, j’ai fait l’expérience des défis mentaux et physiques auxquels on est confronté en tant que marin, et j’ai décidé que je voulais faire le tour du monde.

S.D. : Y-a-t-il des études et si oui lesquelles?

M.H. :  Il faut beaucoup de temps et un mélange d’études et d’expérience en mer avant de pouvoir devenir capitaine de grands navires. Mais il existe des licences pour être capitaine de petits bateaux et de yachts que l’on peut obtenir après un an en mer. Il m’a fallu environ 18 ans avant de devenir capitaine sans limitation. Il est possible de le faire plus rapidement, mais je vivais des aventures en mer avec Greenpeace et j’étais plus intéressée par la défense de l’environnement que par l’obtention de mon permis.

Lorsque j’ai commencé à naviguer, tout le monde pensait que j’étais la cuisinière parce que j’étais jeune et de sexe féminin. Je n’ai pas aimé cette supposition, alors j’ai obtenu mon premier permis aussi vite que possible et j’étais capitaine de yachts de location en Australie à l’âge de 25 ans.

Source : MEE/Karlos Zurutuza

S.D. : Qu’est ce qui fait un.e bon.ne capitaine?

M.H. : Hmmmm, je pense que les gens ont des opinions différentes à ce sujet. Il est certain qu’il faut avoir de l’expérience et une bonne compréhension du travail. Vous devez également savoir comment votre navire est conçu et quelles sont ses caractéristiques techniques. Vous devez comprendre l’océan et la météo.

Vous devez également connaître l’équipage que vous avez à bord. Un navire doit être une équipe où tout le monde travaille ensemble. Vous travaillez et vivez dans un environnement restreint et confiné. Un bon capitaine doit maintenir un bon esprit d’équipe. 

Un bon capitaine n’a pas peur de poser des questions à l’équipage. La décision et la responsabilité ultimes incombent au capitaine, mais le reste de l’équipage peut aussi avoir des années d’expérience et de bonnes idées.

S.D. : Quelles sont les fausses croyances sur la vie en mer que vous voudriez démystifier?

M.H. : De nos jours, la vie en mer n’est plus aussi dure qu’avant. Sur la plupart des navires, les cabines sont confortables, la nourriture est bonne et vous avez accès à des équipements tels qu’une salle de sport, Internet et des divertissements. Il y a quelques années, les marins partaient en mer pour un ou deux ans, aujourd’hui ils partent plutôt pour 6 semaines ou 3 mois. Sur les navires australiens, vous bénéficiez d’un jour de congé payé pour chaque jour de travail ! C’est une offre tout à fait étonnante. Je ne sais pas si le Canada est aussi généreux.

S.D. : Comment se déroule une journée typique comme commandante sur un bateau?

M.H. : Ce qui est bien avec la vie en mer, c’est que les journées peuvent être très différentes. Cela dépend du type de navire sur lequel vous êtes, de la météo, si vous êtes au port ou en mer. Mais je vais vous donner un exemple d’une journée typique sur un bateau de Sea Shepherd lorsque nous sommes en campagne.

0600 Réveil. Vérifier la météo

      Prendre un café/petit déjeuner et faire un peu d’administration

0730 Réunion de l’équipage – discuter du plan de la journée

0800-1200 Conduire le navire pour des activités de campagne. Il peut s’agir de rechercher du matériel de pêche illégal ou de trouver des bateaux de pêche qui pratiquent la pêche illégale.

1200 – 1300 Déjeuner

1300 -1700 Surveiller les activités de la campagne. Planification de la journée du lendemain. Peut-être une formation si le temps le permet

1700 -1800 temps personnel pour la communication/la gym/le yoga/la discussion avec l’équipage

1800 dîner (nous mangeons très tôt sur les navires, afin que le cuisinier puisse terminer son travail de la journée)

1830-1930 sieste

2000-0000 conduite du navire vers le lieu des activités du lendemain

0030 Retour à ma couchette !

Sur un navire, nous devons travailler 7 jours sur 7 et il est facile de manquer de sommeil. J’essaie toujours de faire du dimanche un jour spécial et de faire en sorte que l’équipage puisse se reposer. Parfois, nous organisons un barbecue ou jouons à des jeux de société le dimanche.

S.D. : Comment planifiez-vous votre horaire terre-mer?

M.H. : Je travaille pour de nombreuses organisations différentes, il n’est donc pas toujours facile de planifier. J’essaie de ne travailler que 6 mois par an pour pouvoir passer un peu de temps à la maison en Tasmanie.

S.D. : Est-ce que diriger un bateau en tant que femme apporte des défis particuliers ?

M.H. : Historiquement, le transport maritime est un secteur dominé par les hommes, mais cela change progressivement. Oui, il peut être difficile d’être la seule femme sur le navire et j’ai parfois l’impression de devoir être très forte pour m’assurer que je suis respectée en tant que capitaine. Cela peut être épuisant par moments. Mais je pense aussi qu’un capitaine peut être un peu à l’écart du reste de l’équipage et que l’on a plus d’intimité que les autres membres de l’équipage. Il est important de ne pas être en compétition avec les hommes à bord. C’est l’occasion d’offrir une perspective différente.

S.D. : Quels sont les moments les plus marquants de votre carrière?

M.H. : Les points forts sont les suivants :

  • Mon voyage en Antarctique sur le navire de recherche australien Aurora Australis.
  • Obtenir mon premier emploi sur un navire de Greenpeace (j’étais tellement excitée que je sautais littéralement de haut en bas).
  • Travailler en Méditerranée pour secourir les migrants [sur l’Aquarius avec SOS Méditerranée]
  • Travailler sur un navire d’aide médicale en Papouasie-Nouvelle-Guinée et remonter les rivières pour aider les villages isolés qui n’ont pas de services médicaux.
  • Naviguer sur un yacht à travers le Pacifique
  • Voir la beauté du monde – étoiles filantes, aurores boréales, baleines, icebergs, arcs-en-ciel, phosphorescence. Les mers les plus calmes qui ressemblent à du velours et les mers les plus sauvages qui vous font vous sentir tout petit.

S.D. : Je sais aussi que vous êtes une grande activiste. Pour quelles causes avez-vous déjà milité?

M.H. : Ma première action avec Greenpeace était sur le Rainbow Warrior pour protester contre les essais nucléaires sur l’atoll de Mururoa. Au milieu de la nuit, j’ai été mise à l’eau depuis le navire dans un petit bateau pneumatique. Nous n’étions que deux dans le bateau, avec une bouteille d’eau, des sandwichs et un bloc de chocolat. J’ai conduit le bateau sur 20 miles nautiques (environ 37 km) jusqu’au bord du récif. Il y avait des navires de guerre français tout autour, mais nous étions si petits qu’ils n’ont pas vu notre petit bateau. Lorsque le soleil a commencé à se lever, j’ai pu voir une brèche dans le récif de corail. J’ai roulé à toute vitesse à travers la brèche dans le récif et sur les eaux calmes du lagon jusqu’à la plate-forme de forage où les militaires français se préparaient à tester une bombe nucléaire sous-marine. Les bateaux de la marine nous avaient repérés, mais nous avons atteint la plate-forme et j’ai réussi à monter à bord et à grimper sur l’échelle jusqu’à une position où j’étais très difficile à atteindre. Notre action a empêché la détonation de la bombe et l’essai a été retardé de plusieurs semaines. Finalement, il y a eu des essais nucléaires, mais pas autant que prévu. De nombreuses personnes dans le monde entier ont protesté contre ces essais. Cela m’a donné l’impression que la vie en mer pouvait être pleine d’objectifs. [Le Rainbow Warrior à été coulé lors de cette opération par les services secrets français causant la mort d’un photographe portugais.]

J’ai également participé à des campagnes visant à empêcher l’abattage de forêts anciennes en Colombie-Britannique, au Canada, pour promouvoir les énergies propres dans le monde, pour sensibiliser au changement climatique, contre la pêche illégale et contre la chasse à la baleine.

J’ai navigué sur un yacht à travers la Méditerranée avec 13 femmes à bord pour tenter de briser le siège cruel et injuste de la Palestine par Israël. (Le bateau des femmes pour Gaza)

S.D. : Merci madame Habib d’avoir répondu à toutes mes questions.

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